Grâce à de petits logiciels facilement disponibles, les commerçants
peuvent dissimuler au fisc une partie de leurs recettes. L'Etat y
perdrait 10 milliards par an.
C'est une martingale qui s'est répandue comme une
traînée de poudre auprès des cafetiers, hôteliers, boulangers et autres
commerçants indélicats. Elle associe ces professionnels à des éditeurs
de logiciels, dans une fraude
2.0 bien éloignée des bons vieux tiroirs-caisses et de leurs fameux
doubles fonds. Mais tout aussi efficace. Au coeur du dispositif : les
caisses enregistreuses. Munies d'un certain type de logiciels, elles
permettent d'effacer des ventes après qu'elles ont été enregistrées. Ni
vu ni connu.
Ce système est certes moins pénalisant pour les
salariés que la dissimulation pure et simple : souvent payés via un
pourcentage sur les ventes, ils peuvent percevoir leur dû à partir des
transactions réelles et non pas de celles qui seront finalement
déclarées. La pratique fait surtout de gros trous dans les caisses... de
l'Etat. Selon un rapport de 2013 de l'Acédise, la principale
association de constructeurs et distributeurs de systèmes
d'encaissement, 30% des recettes en espèces des petits commerçants
disparaissent ainsi, privant chaque année le fisc de 10 milliards
d'euros (TVA, impôt sur les sociétés, etc.).
Supprimer une transaction d'une simple touche
Le
plus souvent, les commerçants ont recours à des logiciels dits
"intégrés", qui permettent d'effacer carrément une partie des opérations
enregistrées. "Ce peut être une simple touche qui supprime la commande
d'un client, témoigne un éditeur de
caisse enregistreuse de commerce de proximité, ou un programme un peu plus
sophistiqué qui, par exemple, n'enregistre que trois cafés sur quatre,
ou seulement les achats au-delà d'un montant donné."
En
2010, un vaste réseau de fraude dans les pharmacies a été démantelé.
Les
commerçants de proximité indélicats s'abstenaient notamment d'enregistrer les
articles de parapharmacie, souvent réglés en espèces. Sur les 22 000
officines françaises, 4 000 se sont vues soupçonnées car elles s'étaient
procuré le dispositif incriminé. Pertes pour les caisses publiques :
environ 400 millions d'euros.
Bercy
tente de réagir. D'abord en multipliant les opérations de contrôle,
notamment chez les éditeurs de logiciels, qui peuvent désormais être
perquisitionnés sur autorisation d'un juge d'instruction. Ils encourent
des amendes pouvant aller jusqu'à 15% de leur chiffre d'affaires.
La nouvelle norme n'empêche pas la fraude à 100%
L'Etat
a également suscité l'adoption d'une norme, dite "NF 525". Pour obtenir
ce cachet, les logiciels doivent être capables de signaler les
tentatives d'effacement de transactions, ou encore les doubles
comptabilités virtuelles. "Ces logiciels n'empêchent pas la fraude à
100%, reconnaît Jean-Louis Michel, le directeur général d'Infocert,
l'organisme de certification. Mais ils attestent au moins que l'éditeur
n'y a pas contribué intentionnellement." Les fraudeurs n'ont pas dit
leur dernier mot : ils ont recours à des "zappers", "sortes de clefs
USB, très discrètes, que l'on insère dans une caisse enregistreuse munie
d'un logiciel dit permissif, explique-t-on à Bercy. On peut ensuite
effacer telle ou telle commande".
Limite de l'exercice : lorsque
les commerçants sont pris la main dans le sac, ils ne peuvent guère
invoquer l'action non intentionnelle, comme c'est le cas lorsqu'ils
"oublient" simplement d'enregistrer des commandes, ou les effacent "par
mégarde", avec un logiciel traditionnel... Là encore, Bercy
contre-attaque : en décembre dernier, un vaste coup de filet -mené
conjointement par le fisc et les services spécialisés du ministère de
l'Intérieur- a permis de faire tomber une filière associant éditeurs de
logiciels, distributeurs et clients utilisateurs. Le combat continue...