France-Chine : Pas de " rupture " pour Sarkozy
Pendant la campagne électorale pour la Présidence française, l’insistance de Nicolas Sarkozy à affirmer sa " rupture " avec le passé, aussi bien en politique intérieure qu’en politique extérieure, avait pourtant laissé penser aux observateurs qu’un rapprochement annoncé avec Washington signifierait un refroidissement des relations stratégiques avec Pékin.
Valérie Niquet, analyste de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) écrivait d’ailleurs dans le journal Les Echos que l’incertitude, voire l'inquiétude, étaient les sentiments qui dominaient chez les diplomates chinois, juste avant l’arrivée du Président Nicolas Sarkozy en Chine le mois dernier. Les intentions de Nicolas Sarkozy de " rééquilibrer " les relations franco-chinoises en promouvant une " politique de réciprocité " avaient fait froncer les sourcils de Pékin.
Au final, pourtant, alors même que la Chancelière allemande Angela Merkel avait réaffirmé le mois dernier ses intentions de lancer une " nouvelle politique étrangère " fondée sur des droits de l’homme prioritaires aux intérêts commerciaux, la visite de Nicolas Sarkozy a, elle, montré le renforcement du partenariat stratégique franco-chinois et des relations économiques entre les deux pays.
Même si les discours de Nicolas Sarkozy à Pékin ont été " cadrés " sur le concept de " réciprocité ", et en dépits de ses souhaits de voir la Chine adopter une politique monétaire plus amicale (lire " réévaluation du Yuan "), le nouveau président français s’est placé très clairement du côté chinois quand il en est venu à parler de l’intérêt géostratégique suprême de la Chine : Paris soutient l’unité chinoise et n’est en aucun cas partisan de l’indépendance de Taiwan ou de celle du Tibet.
Plus encore, au grand déplaisir de Washington et (surtout) de Tokyo, Nicolas Sarkozy a réaffirmé la position chiraquienne sur l’embargo des ventes d’armes européennes à la Chine : Paris souhaite la levée de l’embargo.
La journaliste économique Françoise Crouignou a bien résumé le problème, écrivant dans les Echos qu’il est difficile de conjuguer " géostratégie " et ambitieuse politique étrangère " de rupture " affirmée par Nicolas Sarkozy. Les entreprises françaises de la défense, de l’aérospatial, de l’énergie et des nouvelles technologies lorgnent depuis longtemps sur des marchés chinois en croissance à deux chiffres et une telle réalité suggérait que Paris modère ses critiques sur les droits de l’homme à Pékin.
Les observateurs européens n’ont pas manqué de relever que l’accent porté par Nicolas Sarkozy sur la réciprocité n’a pas suscité en retour des promesses du Président Hu Jintao de modeler la politique monétaire chinoise au profit de l’équilibre des relations commerciales entre la Chine et l’Europe. Au contraire, nos sources confirment que le Président Hu Jintao a été très clair : " la politique monétaire de Pékin est faîte pour servir les intérêts de la Chine ".
S’adressant à la presse après sa rencontre avec Hu Jintao, Nicolas Sarkozy a également insisté sur le fait que le Président chinois avait signé une déclaration commune qui mettait en avant le besoin d’harmonisation entre croissance économique et environnement. Pourtant, aux dernières nouvelles, Pékin reste toujours sceptique sur l’application des accords de Kyoto.
De retour en France, c’est un Sarkozy triomphant qui a salué ses compatriotes en leur annonçant une série " sans précédent " d’accords économiques avec la Chine, les seuls contrats signés par les géants de l’aéronautique et du nucléaire, Airbus et Areva, étant estimés à environ 20 milliards d’euros.
Airbus a ainsi signé un " accord général " avec les autorités chinoises, accord selon lequel l’entreprise vendra à la Chine 110 Airbus A320 et 50 Airbus A330 pour un total de 11,3 milliards d’euros (environ 17 milliards de dollars). 10 autres Airbus A330 seront vendus par Airbus à la compagnie China's Southern Airlines.
L’autre grand gagnant est Areva qui fournira à Pékin deux centrales nucléaires à réacteurs pressurisés de troisième génération (EPR) pour environ 8 milliards d’euros. Les deux réacteurs seront construits à Taishan et l’uranium sera fournit par les mines africaines du canadien Uramin, racheté cet été par Areva.
Quelques observateurs français ont cependant souligné que les deux centrales nucléaires vendues à Pékin ne permettront pas à Areva de dominer le florissant marché chinois du nucléaire civil. Les offres russes et américaines resteront très compétitives et par conséquent l'accord semble être plus en faveur des finances d’Areva qu’en faveur de l’intérêt du secteur français de l’énergie atomique. Ce qui est certain, c’est qu’un sourire confiant ornait le visage d’Anne Lauvergeon, qui dirige Areva, après la signature de l’accord.
D’autres acteurs français ont aussi profité du voyage de Nicolas Sarkozy pour renforcer leur présence en Chine.
Le poids lourd des nouvelles technologies, Alcatel-Lucent, a signé un accord de 750 millions d’euros avec China Mobile Limited pour la fourniture d’équipements de télécommunications. Eurocopter (EADS) a signé un accord pour vendre à Pékin 10 hélicoptères EC155 pour 80 millions d’euros. Natixis, une banque spécialisée dans les services financiers et la gestion d’actifs, a finalisé un accord de coopération en matière d'efficacité énergétique pour limiter les émissions de CO2 pour 60 millions d’euros. Le fabricant de matériel ferroviaire, Alstom , a signé un contrat de 43 millions d’euros pour la signalétique du métro de Shanghai. Le spécialiste du transport maritime, CMA-CGM, a signé des accords, avec la municipalité de Xiamen (province de Fujian) et le groupe hongkongais New World Services Holding, pour la construction et l’exploitation d’un terminal de conteneurs en eaux profondes (307 millions de dollars, environ 206 millions d’euros) qui entrera en exploitation en 2009. CMA CGM aura une part de 30% (environ 62 millions d’euros). Suez, l’autre grand de l’énergie, va développer ses activités dans le gestion de l’eau à Tang-Jiatuo, près de Chingqing, dans le cadre d’un accord de 80 millions d’euros. Sanofi-Avensis, un des plus important groupes pharmaceutiques français, va construire une usine de vaccins anti-grippe, dans le cadre d’un accord de 63,88 millions d’euros.
La visite de Nicolas Sarkozy à Pékin a non seulement montré que le " boom " des marchés stratégiques chinois est trop important et opportun pour les groupes de la défense, de l’aérospatial, de l’énergie et des nouvelles technologies pour que les idéaux passent devant les intérêts. Elle démontre aussi, sans le moindre doute, que la Chine présente aujourd’hui une des caractéristiques typiques de toutes les grandes puissances dans l’histoire : elle oblige les états à prendre des positions spécifiques envers elle, et cause l’embarras. De facto, les principales puissances politiques de l’Union Européenne ont différentes approches de la Chine : l’Allemagne insiste sur les droits de l’homme tandis que la France est impatiente de poursuivre son partenariat stratégique avec Pékin à un niveau tel que l’enthousiasme de Paris pour les marchés de la défense chinois pourrait réveiller les tensions avec certains de ses partenaires occidentaux.
Le résultat du voyage du Président français en Chine porte quelques implications ironiques. Jacques Chirac a été probablement, pendant ses années passées à l’Elysée, le plus solide avocat d’un monde multipolaire, et on attendait de Nicolas Sarkozy qu’il limite de telles aspirations en adhérant au leadership mondial des Etats-Unis. Dans le système géopolitique, un pole de puissance est défini par sa capacité à initier et soutenir des actions indépendamment des autres puissances. Il semble clair que la Chine a une telle capacité, et que la multipolarité est en voie de devenir une réalité acceptée – que Nicolas Sarkozy et ses parrains occidentaux le veuille ou non.
Source : Strategic-raod
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