Quand le téléphone portable devient porte-monnaie
C. K. Prahalad
Cornelia Stauffer: Pourquoi mettez-vous l’accent sur le bas de la pyramide des richesses?
C. K. Prahalad: Il y a quelques années encore, les multinationales s’intéressaient avant tout au milliard de personnes qui occupent le sommet de la pyramide économique. Les 80% restants étaient ignorés. Au travers de mon travail, j’aimerais attirer l’attention sur ces quatre à cinq milliards de personnes qui forment la base de la pyramide et dont la plupart vivent avec moins de deux dollars par jour. Car elles disposent d’un pouvoir d’achat, et offrent de ce fait aux grandes entreprises une belle opportunité de s’engager de manière rentable sur un marché caché.
Le Credit Suisse s’investit depuis 2003 dans le secteur de la microfinance. Que pensez-vous du micro-crédit, cette technique de financement conçue pour les clients à faible revenu?
La pauvreté a trois causes: tout d’abord, les plus démunis ne disposent pas du même accès aux informations sur les marchés et les prix que les personnes riches. Le manque de produits de qualité constitue un second facteur. Enfin, les personnes pauvres ne peuvent pas compter sur des crédits appropriés. Ces trois problèmes, il faut les combattre, et la microfinance joue ici un rôle décisif. Les micro-crédits peuvent permettre à des familles d’assurer leur subsistance.
Que pensez-vous du micro-crédit aux petites et moyennes entreprises (PME) dans les pays émergents et au bas de la pyramide?
C’est ce qui s’appelle investir dans l’avenir. Dans tous les pays du monde, riches ou pauvres, on trouve un nombre élevé de PME. Mais ont-elles accès à des prestations financières de qualité? Bien souvent, la réponse est non. Il est donc important d’agir, sachant toutefois qu’il est difficile de se procurer des chiffres pertinents sur ces entreprises - des entreprises familiales la plupart du temps - et d’obtenir des sûretés. Les banques doivent donc élaborer dans le domaine de la microfinance de nouvelles méthodes qui leur permettront d’évaluer comme il se doit la moralité de leurs clients et de leur imposer des conditions adaptées. Dans ce contexte, la "pression du groupe" est susceptible d’avoir de meilleurs résultats que les traditionnelles sûretés. En Inde, par exemple, les crédits sont versés à des groupes d’entraide, qui répartissent ensuite les capitaux entre leurs membres.
Concrètement, que peut faire une grande banque pour renforcer l’accès à une infrastructure financière au bas de la pyramide? Du fait de sa structure de coûts, elle ne pourra pas opérer directement à l’échelle locale. En revanche, les grandes banques peuvent travailler en collaboration avec des banques locales et distribuer leurs micro-crédits avec l’aide de ces partenaires. En tous les cas, il est important de ne pas se lancer dans une optique humanitaire, mais de penser en termes économiques et de voir dans cette entreprise une opportunité à ne pas manquer. On estime que les immigrés issus de pays en développement transfèrent chaque année de 250 à 300 milliards de dollars dans leurs pays d’origine: c’est plus que le montant total de l’aide au développement dans le monde. Ce flux d’argent, qui passe des immigrés travaillant dans les pays industrialisés vers les pauvres dans leur pays d’origine, n’a jusqu’à présent pas été pris en compte par les grandes banques internationales.
N’y a-t-il pas un gros risque à investir dans des pays en développement?
Pas du tout. A la banque Grameen, institut de microfinance du Bangladesh, la part de la clientèle qui n’honore pas ses engagements représente moins de 0,5% du total. Les populations pauvres se sentent très redevables à l’égard des banques, car la seule alternative consiste pour elles à se tourner vers des bailleurs de fonds privés, qui pratiquent des taux exorbitants. Les jeunes utilisateurs de cartes de crédit des pays industrialisés représentent un risque de crédit beaucoup plus important. Je pense que les personnes pauvres sont un bien moindre risque.
Dans quelles régions la microfinance s’est-elle déjà bien implantée?
Je citerai notamment le Bangladesh, où Muhammad Yunus, fondateur de la banque Grameen, s’est vu attribuer le Prix Nobel pour son travail de pionnier. L’Inde aussi a rapidement développé un système de grande qualité, auquel participent différents groupes d’entraide, des banques locales et de grandes banques ainsi que plusieurs ONG.
Quels sont les pays qui pourraient causer des difficultés aux banques?
Proposer des prestations bancaires suppose un cadre législatif. Un pays qui ne dispose pas de lois claires et qui ne parvient de toute façon pas à les faire respecter devra donc être considéré avec méfiance. Il est essentiel également de pouvoir compter sur une société civile bien développée. Sans cela, l’accès aux populations pauvres dans les zones rurales sera compliqué.
Dans votre livre intitulé "La richesse du tiers-monde" ("The Fortune at the Bottom of the Pyramid"), vous évoquez une situation gagnant-gagnant, qui profite tant aux entreprises internationales qu’aux personnes démunies.
Dans ce modèle économique, les personnes au bas de la pyramide ont accès au micro-crédit et à des prestations bancaires de qualité. Leurs revenus s’améliorent puisqu’elles ne sont plus obligées de subir les taux usuraires des bailleurs privés. Et il ne faut pas non plus négliger les conseils techniques dont elles peuvent alors bénéficier. Pour leur part, les banques, confrontées à une nouvelle catégorie de clients, doivent se montrer innovantes et développer des solutions techniques modernes et bon marché. Par exemple, en Inde, avant que les banques puissent proposer des prestations à une population rurale majoritairement analphabète, il a fallu mettre au point des appareils biométriques d’identification de la clientèle.
Pensez-vous qu’il puisse y avoir là le point de départ d’innovations dans les pays industrialisés?
Tout à fait. Et pour vous en convaincre, je vais prendre un autre exemple: dans la plupart des pays développés, il n’est pas possible à l’heure actuelle d’effectuer une transaction financière par SMS. Pourtant, c’est un système qui existe déjà aux Philippines et qui est désormais testé en Inde. Le "mobile banking" a été développé par des banques en collaboration avec des sociétés de télécommunication et s’adresse à des personnes ne disposant que d’un revenu faible. Aujourd’hui, cette innovation pourrait en appeler d’autres, pour qu’à terme le téléphone portable devienne le véritable porte-monnaie des pays industrialisés.
Source : emagazine.credit-suisse
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