2006, année de l'Inde, par Frédéric Lemaître
Géant économique (en parité de pouvoir d'achat, l'Inde serait la 4e puissance mondiale), ce pays devient un géant politique. George Bush l'a reconnu en mars, en apportant le soutien des Etats-Unis au programme nucléaire indien, bien que ce pays n'ait jamais ratifié le traité de non-prolifération. Par ce geste controversé, Washington entendait contrebalancer la toute-puissance chinoise en Asie. Les Chinois, qui savent ce que rapport de force veut dire, ne s'y sont pas trompés. En novembre, le président Hu Jintao s'est à son tour rendu à Delhi, afin de nouer de meilleures relations avec son puissant voisin. Si la visite n'a débouché sur aucun résultat spectaculaire, nombre de diplomates y voient le début d'une relation bilatérale qui ne peut que s'intensifier. Pour le meilleur ou pour le pire, "Chindia" est en marche.
Dix ans après avoir découvert la Chine, l'Occident prend conscience du décollage de l'Inde. Avec son milliard d'habitants et une croissance annuelle de plus de 8 %, la plus grande démocratie du monde fascine et a les moyens d'influer sur le destin de la planète.
C'est déjà le cas. Ayant misé sur les services plutôt que sur l'industrie, l'Inde bouleverse déjà l'informatique mondiale, en accaparant environ 50 % de la sous-traitance de ce secteur, notamment les centres d'appel. D'IBM à Capgemini, les grands noms de la profession ne jurent plus que par l'Inde. Le PDG du groupe indien Infosys aime à rappeler qu'il lui a fallu vingt-trois ans pour réaliser son premier milliard de dollars de chiffre d'affaires, et vingt-trois mois pour réaliser le deuxième. La maîtrise des technologies les plus pointues par les Indiens les amène à proposer leurs services dans un domaine où on ne les attendait pas : la santé. Une trentaine d'hôpitaux privés haut de gamme ont accueilli en 2005 environ 150 000 "touristes", venus se faire opérer pour des prix de 5 à 10 fois inférieurs à ceux pratiqués aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou au Canada. Selon certaines études, le tourisme médical rapportera dans cinq ans 2 à 3 milliards de dollars, soit la moitié de ce que procure aujourd'hui la sous-traitance informatique.
Aussi impressionnants soient-ils, ces succès ne doivent pourtant pas occulter l'essentiel. L'Inde reste un pays émergent, très en retard, notamment par rapport à la Chine. Fin novembre, Sonia Gandhi, présidente du Parti du Congrès au pouvoir l'avait reconnu. Mi-décembre, devant des économistes, le premier ministre lui-même, Manmohan Singh, a été on ne peut plus explicite : "Nous ne devons pas être trop contents de nous. Il serait faux de croire, comme certains le font, que les grands défis du développement ont été relevés et que l'économie indienne peut maintenant devenir sans effort celle d'un pays développé."
Les chiffres, en effet, sont sans appel. Le PIB par habitant n'est que de 720 dollars (1 740 en Chine). Si l'on prend l'indice de développement humain mis en place par les Nations unies, l'Inde ne se classe qu'au 126e rang sur 186 pays, loin derrière la Chine (81e rang). Les informaticiens de Bangalore et les artistes de Bombay ne doivent pas faire illusion : évaluée parfois à 300 millions d'habitants par des membres du gouvernement, la classe moyenne serait, selon d'autres sources, beaucoup plus réduite. "33 millions d'Indiens sont motorisés (voiture et moto confondues). (...) N'allez pas de parler de grande classe moyenne : on a affaire à 50 millions de personnes au maximum, si l'on se fonde sur le nombre de foyers imposables", expliquait récemment le sociologue Dipankar Gupta (Le Monde 2 du 16 décembre). Il n'y a que 91 millions d'abonnés à un service de téléphonie mobile (8 % de la population) et moins de 7 millions d'abonnés à Internet, rappellent les membres de la mission économique de l'ambassade de France à Delhi.
PAYS ENCORE SOUS-DÉVELOPPÉ
L'Inde est surtout un pays de paysans pauvres. L'agriculture représente moins de 20 % du PIB, mais occupe les deux tiers de la population active. Faute d'infrastructures, 20 % seulement de la production agricole est transformée. Une bonne partie pourrit sur place. Conséquence : 400 millions de personnes vivent avec moins de 1 dollar par jour et près de 50 % des enfants seraient sous-alimentés.
La croissance est d'autant plus inégalitaire qu'elle repose - ce qui est un paradoxe pour un pays pauvre - sur des services à valeur ajoutée qui emploient relativement peu de monde. L'Etat est trop faible, les impôts quasi inexistants (85 % de la population travaille dans le secteur informel), et donc toute redistribution impossible. Si des Occidentaux commencent à se faire soigner en Inde, les dépenses publiques de santé restent très insuffisantes. Inférieures même (en pourcentage du PIB) à ce que dépensent la Sierra Leone et le Niger, les deux derniers du classement du programme des Nations unies pour le développement (PNUD). 1,5 million de personnes meurent encore chaque année en Inde de la tuberculose et 4 millions de maladies facilement soignables comme la diarrhée. Même constat pour l'éducation : les ingénieurs ne constituent qu'une infime minorité de la population : comme l'Inde ne dépense que 3,3 % de son PIB pour l'éducation publique (8 % en Chine), 35 % de la population est analphabète.
Autre problème, les infrastructures : les pénuries d'électricité sont fréquentes, les routes déjà saturées (alors qu'il y a très peu de voitures) et le chemin de fer extrêmement lent et vétuste. Là aussi, la comparaison avec la Chine est cruelle pour l'Inde. Ses dirigeants indiquent, non sans raison, que leur système démocratique explique en partie la lenteur de la prise de décision. Le fédéralisme qui oblige les différents partis à cohabiter n'arrange pas la situation.
Que l'Inde devient un acteur majeur sur la scène internationale est évident. Néanmoins, par bien des côtés, elle reste un pays sous-développé. Comme l'a dit le PDG d'Infosys à l'issue du forum de Davos : "Il ne nous reste plus qu'à réaliser les promesses que nous avons faites."
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